Les premières lueurs de 2019 ont donné lieu à une rencontre entre Basques, Rifains et Kabyles à Tanger, Garabide ayant organisé un séminaire visant à partager diverses expériences de revitalisation linguistique, avec l’aimable collaboration de l’association hôte amazigh, Massinissa.
Du 11 au 14 janvier, 16 interventions ont permis de présenter les différents parcours de chaque communauté linguistique, sans oublier de se projeter vers les défis et opportunités qui nous attendent. La plupart des exposés s’est effectuée en variantes tamazigh du Rif et de Kabylie, résumés principalement en français pour assurer la compréhension de certains d’entre nous.
La rencontre s’est avérée plus qu’enrichissante. La position des compagnons amazighs nous a été exposée sans détour, dès les premiers instants du séminaire. L’amazighité ne peut constituer un frein à la revitalisation de ses langues, et on ne peut guère se permettre d’attendre une standardisation de toutes les langues amazigh afin d’acheminer les dynamiques locales de revitalisation. En conséquence, Rifains et Kabyles doivent travailler leurs propres processus de revitalisation, au sein de leurs environnements respectifs (et de leurs Etats respectifs). Il reste évidemment primordial de maintenir un contact soutenu entre les deux communautés, afin de profiter de toute occasion de convergence, et ainsi continuer à s’enrichir mutuellement.
Le tamazigh est devenu officiel sur tout l’Etat du Maroc en 2011. Néanmoins, la gestion des trois variantes dialectales n’a pas été définie, et le tarifit est employé pour l’écrit dans le Rif. Depuis, le tamazigh n’a pas connu d’avancée conséquente dans l’enseignement, l’administration voire les médias. Le manque de planification et de moyens a été souligné le long du séminaire.
D’autre part, l’Institut Royal de la Culture Amazigh du Maroc a opté pour l’alphabet tifinagh, alors que les Kabyles prennent le chemin de l’alphabet latin : il s’agit là d’un sujet à approfondir, en prenant le temps nécessaire pour une perspective de convergence stratégique future vis-à-vis de l’écrit et de ses différentes modalités, qui vont de l’enseignement au monde numérique, en passant par l’administration et les médias.
En faisant face depuis de longues années à une arabisation du territoire, la langue originaire demeure plus que vivante au sein du Rif et de la Kabylie, avec des millions de locuteurs toujours actifs. Elle reste encore une langue minorisée par manque de politiques et de stratégies bien définies, qui répondraient à un manque de prestige social, aux risques de rupture de la transmission linguistique, à la révolution communicationnelle proposée par les nouvelles technologies, ainsi qu’à la volonté de vivre dans sa propre langue au XXIème siècle.
Malgré des politiques publiques étouffantes, nous avons pu rencontrer des acteurs très importants du Rif et de la Kabylie : enseignants, chercheurs, informaticiens, artistes et militants sont principalement en train de créer des espaces dans le monde numérique et culturel, à la recherche d’un souffle nouveau pour leur langue, pariant sur internet et ses applications, des associations culturelles, ou même quelques assemblées de jeunes, offrant ainsi un plus large éventail à la pratique de leur langue, à l’oral comme à l’écrit, et un équilibre entre enracinement et épanouissement, transmission et ouverture. Ces expériences ont été sources d’inspiration pour nous, euskaldun, qui souhaitons nous consacrer d’avantage à la pratique sociale élargie de notre langue. Dans le même temps, nous avons ressenti que nous pouvions apporter quelques conseils sur les définitions de stratégies et théories communes de revitalisation des langues amazigh.
Nous avons également eu l’occasion de partager le nouvel an amazigh, en célébrant Yennayer le 12 janvier, souhaitant la bienvenue à l’année 2969, et en nous tournant ensemble vers l’an 3000. Le détroit de Tanger, qui reste témoin du passage perpétuel des différentes cultures, nous a ainsi offert une perspective vaste et riche en opportunités de coopération linguistique.