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Libye : la communauté amazighe fait revivre sa langue, bannie sous Kadhafi

25/01/2015  -  Middle east eye

Libye : la communauté amazighe fait revivre sa langue, bannie sous Kadhafi

Une nouvelle génération d’Amazighs redécouvre sa langue, qui a réussi à survivre malgré son interdiction sous le régime de Kadhafi

Karlos Zurutuza's picture
26 janvier 2015
Dernière mise à jour : 

Jadu, Libye – Dans une salle de classe des monts Nafusa, au sud-ouest de Tripoli, les enfants s’initient à un alphabet quasi inconnu, coiffés de bonnets de laine qui les protègent du froid.

« Nous proposons actuellement trois heures par semaine d’amazigh (le tamazight) aux élèves d’école primaire, du CP au CM1 », précise Said Azabi, directeur de l’école de Mezzo, un quartier de Jadu, ville de 6 000 habitants située dans une enclave amazighe.

Egalement appelés Berbères, les Amazighs sont originaires d’Afrique du Nord et se répartissent de la côte atlantique du Maroc à la rive occidentale du Nil, en Egypte. Les tribus touaregs du Sahara parlent la même langue ancienne qu’eux. L’arrivée des Arabes dans cette région, au VIIe siècle, marqua le début d’un lent processus d’arabisation. On estime aujourd’hui le nombre d’Amazighs en Libye à quelque 600 000 personnes, soit près de 10% de la population.

 « Les premières leçons de tamazight, la langue amazighe, ont eu lieu ici, dans ces écoles de fortune nichées au cœur de la montagne, alors que la guerre faisait encore rage », ajoute Azabi pendant la récréation, faisant allusion à la guerre civile de 2011 qui mena à la destitution de Mouammar Kadhafi. La présence de livres scolaires et de professeurs « résulte du dévouement d’une armée de bénévoles ».

En 1973, Kadhafi lança sa « révolution culturelle », selon laquelle toute publication ne répondant pas aux principes édictés dans son Livre Vert devait disparaître. En faisaient partie celles mentionnant le peuple amazigh. Selon Kadhafi, les Amazighs étaient « d’origine arabe » et leur langue un « simple dialecte ». La déclaration, à la naissance, de prénoms non arabes fut ainsi proscrite, la première association amazighe de Libye, interdite, et quiconque impliqué dans la mise en valeur de cette culture était poursuivi en justice.

Le défenseur de la langue amazighe Madghis Buzakhar fut emprisonné avec son frère jumeau après que sa bibliothèque, constituée au fil du temps, eut été confisquée par les forces de sécurité du régime.

Aujourd’hui, Buzakhar fait partie du comité de rédaction des livres de langue amazighe utilisés dans les écoles, et notamment à Jadu. L’homme de 33 ans constate « un effort commun significatif ».

« Nous partons littéralement de zéro et luttons désormais tous ensemble pour rattraper le temps tristement perdu », explique Buzakhar depuis le siège de l’association Tira Resarch and Studies qu’il a cofondée avec son frère en 2011 dans le centre de Tripoli.

 

 

Dans la vallée

Bien que basés à Tripoli, les frères Buzakhar viennent des monts Nafusa. S’élevant à plus de 750 mètres au-dessus du niveau de la mer, la chaîne de montagne constitue sans aucun doute le principal bastion de la communauté en Libye où la langue amazighe a perduré.

La deuxième plus grande enclave d’Amazighs libyens se trouve sur le littoral, dans la ville de Zwara, à une soixantaine de kilomètres de la frontière tunisienne. Le plus gros de l’activité culturelle de cette localité se passe dans un complexe qui abrite également la radio locale. Aujourd’hui, une quinzaine de professeurs bénévoles prend part à l’atelier d’initiation aux nouvelles méthodes d’enseignement de cette langue pour les classes de CM1 et de CM2.

« La plupart d’entre nous a comme langue maternelle le tamazight, mais ce n’est qu’en 2011 que nous avons commencé à utiliser notre propre alphabet. On l’appelle le tifinagh, il était interdit sous Kadhafi », nous apprend Noha Alasi, architecte de 24 ans qui s’est portée volontaire à la formation. « La seule manière d’apprendre à lire et écrire sous Kadhafi, c’était Internet. C’est comme ça que nous avons tous appris ».

Assise à côté d’Alasi, Fatwa Halib donne des chiffres qui laissent entrevoir l’ampleur des défis à relever.

« A ce jour, Zwara compte 60 professeurs répartis sur 26 écoles, ce qui est loin d’être suffisant », précise la bénévole de 33 ans chargée d’évaluer les professeurs arrivants. « Nous manquons à la fois de personnel qualifié et d’un plan global permettant d’améliorer le niveau éducatif à long terme», ajoute-t-elle.

Selon l’UNICEF, pendant le conflit de 2011, près de 33% des écoles ont été endommagées et 24% réquisitionnées par l’armée ou des associations humanitaires. L’UNICEF note aussi que parmi les quelque 70 000 déplacés à l’intérieur du pays, 20 000 sont des enfants, dont « beaucoup ne vont plus à l’école ».

Pour Najib Sasi, professeur de lettres et directeur des études tamazightes au ministère de l’Education libyen, les obstacles ne sont pas seulement matériels.

« D’un côté, nous avons affaire à des mentalités profondément ancrées dans l’arabisme, [de l’autre] on ne peut occulter l’agitation politique bouillonnante que connaît le pays. Dès qu’un gouvernement est mis en place, il change aussitôt et on repart à la case départ », explique Sasi depuis son bureau de Zwara.

Trois ans après la destitution et la mort de Kadhafi, la Libye connaît une période de chaos qui l’a menée au bord de la guerre civile. Il y a deux gouvernements et deux parlements distincts – l’un à Tripoli, l’autre à Tobrouk, 1 000 kilomètres à l’est de la capitale. Ce dernier, constitué après les élections de juin majoritairement boycottées par les Amazighs et auxquelles seul 10% de la population recensée a pris part, a été officiellement reconnu par la communauté internationale.

Par conséquent, la Libye est devenue un champ de bataille à ciel ouvert où plusieurs milices s’affrontent, regroupées en deux alliances paramilitaires : « Fajr » (« l’aube » en arabe), dirigée par des brigades de Misrata qui contrôlent Tripoli, et « Karama » (« dignité »), placée sous le commandement de Khalifa Haftar, ancien général basé à Tobrouk. Haftar a mené plusieurs raids aériens contre Zwara ces dernières semaines.

 

Les nouveaux livres d’apprentissage de l’amazigh, langue que les enfants n’étaient pas autorisés à apprendre en dehors du foyer familial sous Kadhafi (MEE/Karlos Zurutuza).

 

Expérience partagée

« Dans de telles conditions, comment travailler ? », déplore Hafed Fatis depuis la ville côtière assaillie. Fatis, 48 ans, a été sélectionné en 2013 pour bénéficier d’une formation de trois mois au Pays basque espagnol à l’invitation de Garabide, une association non gouvernementale cherchant à promouvoir le basque, et désireuse de partager son expérience avec d’autres communautés linguistiques minoritaires.

« Nous étions quatorze au total, le groupe incluait des Kurdes, des Aymaras ou encore des Quechuas. Cet atelier m’a ouvert les yeux », reconnaît Fatis qui essaie aujourd’hui de transformer ses acquis en outils susceptibles de faire avancer tangiblement la situation dans sa ville natale de Zwara. Cela prendra du temps.

« Ici, beaucoup de gens s’attendent à des résultats immédiats. Or, ce que j’ai appris des Basques, c’est que la réintroduction d’une langue longtemps oubliée se fait sur le long terme », explique Fatis.

A Jadu, les élèves de CE2 vont grandir et voir les fruits des efforts entrepris pour remettre au goût du jour le tamazight. Ils sont trop jeunes pour garder un quelconque souvenir de l’époque où cette langue, qu’ils apprennent aujourd’hui à l’école, ne pouvait être pratiquée qu’entre les murs du foyer familial.

Certains des vingt élèves de la classe de Mezzo ne vivaient même pas en Libye avant 2011. A l’image de Talia dont les parents sont arrivés du Soudan peu après la guerre. Pourtant, la petite fille de neuf ans parle tamazight presque aussi bien que ses camarades. La raison sonne comme une évidence :

« Chez moi, c’est ici, à Jadu. Je suis Libyenne », affirme la petite fille, peu avant la fin des cours.

 

Extrait en tamazight diffusé le 13 juillet 2011 sur la chaîne de télévision Libya Al Alhrar TV :

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